Choix d'un sujet

par Peter Foot, Ph.D.

L’excitation dans les films de James Bond ne commence qu’après que 007 ait été équipé par les “feux d’artifice” de Q.  En réalité, l’histoire se déroule autour des gadgets que lui fournit Q.  Le choix d’un sujet pour une dissertation c’est la même chose – c’est l’équipement nécessaire pour une aventure intellectuelle.  Et cela comporte tous les éléments habituels d’une aventure : l’incertitude quant à l’issue éventuelle; l’acquisition de la connaissance du terrain, les données et le contexte;  l’acceptation du danger des habitudes ancrées et des attentes fixées;  l’application du raisonnement pour la résolution des crises;  le test des compétences et des méthodes dans de nouvelles circonstances;  et le besoin de parvenir aux résultats dans un délai imparti avant le retour à la normalité.  Comme toute bonne aventure, les progrès et le succès sont largement déterminés par le degré de préparation atteint avant le départ.  Le choix d’un sujet concerne le raisonnement futur et le façonnement de l’avenir.  Le soin que vous y apportez aura des conséquences importantes.  Ici, comme partout, “à moitié fait qui commence bien”.

Par-dessus tout, vous devez vouloir participer et pouvoir maintenir l’effort jusqu’à la fin.  Le choix d’un sujet bien adapté à votre personnalité et à vos talents est primordial à la volonté et au maintien de l’exécution.  Le choix de votre sujet concerne la découverte ou la domestication de l’énergie et de l’enthousiasme.  Les dissertations qui ne sont pas le produit d’un engagement et d’une passion disciplinée ne valent souvent pas grand-chose.  Votre sujet devrait donc être inspiré de votre personnalité, de vos intérêts et priorités intellectuels.  Ce n’est pas dire qu’il vous faut nécessairement faire tout le travail de sélection ardu vous-même;  les sujets peuvent venir de n’importe quelle source.  Votre tuteur peut suggérer quelque chose;  les archivistes débordent d’idées;  un ami pourrait éveiller en vous un nouveau domaine d’intérêt;  l’Internet est une mine de découvertes.  Mais le “test” relève de vous, pas de quelqu’un d’autre.  Êtes-vous enthousiasmé par les possibilités de cette enquête?  Pouvez-vous y faire face confortablement – pendant un an ou plus?  Êtes-vous fier de votre choix?  Êtes-vous confiant que, vu le travail à accomplir, vous pouvez convaincre d’autres à cet effet?  Est-ce qu’en un mot c’est “vous”? Dans un sens restreint, ces questions sont importantes parce que le sujet que vous choisissez aura une portée puissante sur la qualité du diplôme qui vous sera décerné.  Dans un sens plus large, la façon dont vous conduisez la recherche, dont vous y réfléchissez et l’attention que vous portez à la rédaction auront un impact plus profond sur vous que vous ne pouvez vous l’imaginer.  Le choix d’un thème pour une dissertation importante, de premier cycle or des cycles supérieurs, est par conséquent énormément important au niveau personnel.

1. Formulez votre thème  sous forme de question.  Pas tellement “Pourquoi Napoléon?” comme (et il existe des myriades de possibilités dans ce cas) “Pourquoi Napoléon a-t-il ….?”  Moins “Pourquoi la dissuasion?” que “Depuis 1989, quel héritage de raisonnement de dissuasion ….?”  En termes techniques “ajoute une deuxième (ou troisième) variable” ce qui limite la focalisation de la première. Mais ne vous arrêtez pas à ce point. La question est-elle claire pour les autres?  Rappelez-vous qu’il ne s’agit pas de la question d’une tâche standard, formulée pour les besoins d’un élément de cours particulier ou d’un sujet en option;  maintenant, vous choisissez vraiment – ce qui est à la fois périlleux et libérateur.  Alors demandez-vous à quel point vous avez envie de répondre à la question du thème provenant maintenant du sujet général.  Est-ce qu’elle représente quelque chose pour vous? Réellement?  Pourquoi?

2. La question peut-elle réellement faire l’objet de recherches?  Quelle est la nature des sources primaires?  Trop volumineuses ou pas assez?  Y a-t-il assez de sources secondaires dans les bibliothèques et sur le Net?  Le Ministère a-t-il le bon type d’expertise universitaire dans ce domaine? Devrez-vous conduire des entrevues – êtes-vous à l’aise avec cette méthode?  Devrez-vous vous déplacer? Aurez-vous besoin de compétences d’échantillonnage ou d’arithmétique à portée de la main? N’abandonnez pas trop tôt mais ne craignez jamais de laisser tomber ou de modifier un thème lorsque la base des ressources de la recherche est restreinte.

3. Comment la question cadre-t-elle dans la documentation sur le sujet?  La documentation existante dans votre domaine de prédilection, malgré tout son intérêt, sa profondeur, ses lacunes, ses failles, sa brièveté ou sa complexité, représente la tradition de la recherche scientifique contre laquelle votre propre contribution sera mesurée. Cet ensemble de données, d’opinions reçues et de méthodologie dépasse normalement les limites de vos propres connaissances.  La question qu’il vous reste à déterminer c’est si vous contribuez à cette foulée de recherches.  Allez-vous ajouter quelque chose de valeur?  La question que vous formulez a-t-elle la capacité de générer des réponses originales? Cet élément sera plus important pour un mémoire de doctorat qu’une dissertation de premier cycle mais l’originalité est toujours un élément important dans un tel travail.  Trouvez le point d’équilibre entre une question “limitée” et les implications plus larges dérivées de la “nouveauté”.

4. Comment aborderez-vous le thème?  Avez-vous une méthode d’approche qui convient réellement au sujet?  Correspond-elle à l’approche générale du Ministère? Peut-elle être répartie en sections réalisables?  Présente-t-elle des trous noirs?  (Assurez-vous évidemment que votre sujet n’est pas un grand trou noir!)  Y a-t-il un élément duquel tout dépend mais qui requiert plus de travail avant que vous décidiez de poursuivre?  Cet ensemble de questions ne doit pas être résolu complètement dès le début mais il est bon de vous engager dans un projet avec une certaine notion de la façon de procéder.

5. Comment faciliter la tâche le plus possible?  La réponse revient à un point antérieur mais de façon plus générale : être tout à fait clair quant à la méthodologie, dès le début.  La méthodologie détermine l’approche;  la discipline détermine la recherche;  elle rend la prise de notes et la tenue de dossiers efficace;  elle aide à vous maintenir centré;  elle façonne la forme finale de la dissertation;  et, il ne faut pas oublier, même au départ, qu’elle structure la défense intellectuelle de votre argument ou de votre thèse. Choisir le mode d’approche adéquat est donc tout aussi important que l’élaboration de votre question thème. Utilisez donc les mêmes genres de point de “test” manifestes comme guides.  Avec quoi vous sentez-vous à l’aise?  Avez-vous une partialité en faveur des sciences sociales ou de l’histoire?  Est-ce, disons, une école particulière avec une théorie de recherche documentaire;  est-elle comparative ou c’est un autre type d’histoire.  Dépendra-t-elle d’une étude de cas?  La question thème convient-elle à une approche interdisciplinaire?  Quelle approche favorise le superviseur possible ou prévu?  Quelle direction pouvez-vous obtenir de votre tuteur?  Consultez aussi largement que vous en aurez besoin.  Assurez-vous que le sujet correspond à la méthodologie et vice versa.  N'y a-t-il pas de correspondance naturelle entre eux, modifiez la question constructivement ou débarrassez-vous-en et trouvez-en une autre.

Vous ne devez pas, cependant, sauter sur l’occasion pour opter pour un vrai  “monument” qui vous hante intellectuellement.  Évitez d’être trop ambitieux.  Le monde universitaire est jonché de cadavres intellectuels d’étudiants qui n’ont pas réussi à définir leur sujet de manière à ce qu’il puisse être abordé, recherché et analysé.  Le sujet doit être réalisable.  Il est inutile de vous préparer à travailler sur “Napoléon” ou la “dissuasion”, par exemple;  ces thèmes sont simplement trop vastes pour produire une dissertation de premier cycle ou de cycles supérieurs.  Mais il y a une multitude de thèmes moins vastes à l’intérieur de ces sujets qui sont réalisables.  Que devez-vous donc rechercher – outre vous assurer que vous êtes assez enthousiasmé par le sujet pour l’adopter et le poursuivre jusqu’à la fin?  Comment métamorphosez-vous une idée intéressante en thème qui peut faire l’objet de recherches?  Comment, par exemple, maintenez-vous “Napoléon” ou la “dissuasion” sans vous laisser dépasser par trop ou pas assez de données?

Voilà à ce stade cinq éléments fondamentaux qu’il vous faut garder à l’esprit.  Ils ne sont pas trop détaillés mais suggèrent une séquence des facteurs que vous pouvez appliquer utilement à votre propre situation.

Ce sera beaucoup plus facile si, dès le départ, vous reconnaissez le point de l’exercice.  Inévitablement, vous serez évalué sur votre choix de sujet et sur vos efforts subséquents.  Vous faites partie d’un système universitaire formel d’éducation et d’évaluation intellectuelle.  Avez-vous choisi un thème assurant que votre personnalité n’est pas désavantagée?  Capitalise-t-il sur vos forces universitaires?  Est-ce que le thème de recherche vous donne l’occasion de réfléchir de manière appropriée et de délibérer avec un esprit objectif?  Ne vous contentez pas de la promesse d’être simplement occupé, à lire et à écrire.  Ces deux activités devraient être relativement faciles à ce stade;  la troisième dimension de la recherche d’un thème est beaucoup plus astreignante et ardue – y réfléchir.  Il ne s’agit pas d’une platitude universitaire. C’est la qualité du raisonnement qui élève l’effort universitaire à un plan différent du travail presque ardu. C’est la qualité du raisonnement manifeste à laquelle s’intéressent vos examinateurs. Avez-vous choisi quelque chose qui vous permettra de faire preuve de vos dons uniques et de démontrer votre propre contribution aux recherches?

Aucune de ces questions ne doit être envisagée en isolement : demandez à ceux que vous connaissez, que vous respectez, à qui vous faites confiance et sur qui vous pouvez compter.  Attendez-vous dès le départ à une contribution majeure de façonnement – et exigez-la – du corps professoral de l’université qui vous est assignée.  Ces personnes sont là pour vous encourager, vous mettre en garde et vous conseiller – n’hésitez pas à les consulter.  Évidemment ce n’est pas toujours facile – qui vient d’abord : le thème ou le superviseur?  Comme pour l’argument de la poule et de l’œuf, il s’agit de ne pas se laisser intimider. Encore une fois, consultez les autres, essayez des solutions de rechange. Mais, dans toutes ces démarches, n’oubliez jamais le proverbe japonais : personne ne trouvera la meilleure voie à une chose à moins que cette chose ne soit aimée.

Il n’y a pas de meilleur moyen de commencer votre sujet que de bien le définir. Également, ne vous laissez pas dépasser par cette démarche. Ne tombez pas dans le piège de sentir que vous ratez la cible parce que le travail n’est pas encore clair.  Il y a encore du travail à accomplir – actuellement, pas mal. Malicieusement, il se joue ici une sorte d’impasse : comment savoir si ça vaut le coup tant que je n’aurai pas fait de recherches?  Si j’ai fait les recherches, c’est trop tard.  Au même titre que les impasses, la logique est circulaire et peu utile. Il vaut mieux voir les choses comme un processus intellectuel dans lequel votre propre jugement et votre confiance en ce qui est “apparenté” ou non, maturent avec la familiarisation. Vous commencerez à percevoir le sujet comme étant le vôtre. Ce sens de propriété vous accompagnera pendant toute la durée de votre travail.  Mais, à l’instar des personnages d’un roman, les sujets ont leur propre vie. Tout comme vous en avez extrait un d’une foulée de réalisations universitaires, ce sujet tentera de s’immerger de nouveau, à l’occasion, dans la vaste masse de données, d’idées, d’auteurs, d’arguments et de méthodes de laquelle il est issu et a été défini.  Avoir une question thème et une méthode d’analyse auxquelles vous revenez sans cesse vous aidera à rester centré sur l’essentiel.  Dans ce sens, le choix d’un sujet n’est pas une question exclusive, décidée au début et dont on se débarrasse par la suite.  Vous n’aurez pas finalement défini votre sujet tant que vous n’aurez pas atteint votre point final et que vous n’aurez pas fait la dernière lecture de votre texte.

Mais vous devez vous fixer un point de départ. Choisissez bien. Croyez dans la valeur de répondre à la question.  Sachez que vous ne pouvez prédire où la recherche vous mènera intellectuellement – la recherche serait inutile si vous le saviez.  Gardez la question ouverte et devant vous. Il ne s’agit peut-être pas des gadgets les plus sophistiqués de Q mais tout comme ceux-ci, elle ne vous décevra pas.

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